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dimanche 23 septembre 2012

Un héros, plusieurs noms

Varier ses expressions

Si vous avez tendance à utiliser toujours le même mot, par exemple "comme" pour les comparaisons, ou "personne" pour parler des gens, faites des exercices d'assouplissement.

Forcez-vous à utiliser toute la gamme : à l'instar, à l'image, tel, semblable à...

Ou : individu, gens, gaillard, olibrius, quidam, homme...

Chaque mot a sa nuance propre, sa couleur ; quand vous restez enfermé dans un certain vocabulaire, vous vous punissez vous-même - et vous punissez vos lecteurs.

Soyez à l'affût ; cherchez tous les mots colorés, brillants, vivants, vibrants, souriants.

Par exemple "gaillard", déjà cité, a des connotations très intéressantes. C'est peut-être pour ça que les auteurs du "Visage de Dieu", best-seller dans la catégorie "Cosmologie" d'Amazon.fr, l'emploient à toutes les sauces...

Du coup, les scientifiques dont ils présentent les travaux apparaissent comme des figures pleines de vitalité et d'énergie - et ça, simplement parce qu'ils les décrivent comme des "gaillards" :

"...un physicien du nom de George Smoot, solide gaillard barbu à l'époque totalement inconnu du grand public, se prépare à rejoindre la salle de presse pour..."

Un personnage, plusieurs noms

Il faut faire très attention aux noms dont on désigne les personnages de son livre (qu'il soit un roman ou pas)...

George Sand est une virtuose dans l'art de varier, selon le contexte, les noms dont elle désigne ses personnages. Ces variations donnent une dimension supplémentaire à ses personnages, une épaisseur presque mythique.

Prenons par exemple son magnifique roman L'homme de neige.

Le héros, Christian Waldo, apparaît sous toute sortes de noms. Il faut dire que c'est le sujet même du roman : qui sont ses parents ? Quel est son véritable nom ?... Lui-même ne le sait pas, et le découvrira à la fin du roman. (Il est le fils d'un noble comte suédois assassiné par son frère pour récupérer l'héritage).

Voici quelques uns des noms sous lesquels Christian apparaît :

"Christian Waldo" (son nom d'artiste)
"Christian Goffredi" (Ses parents adoptifs s'appellaient Goffredi.)
"Christian Goelfe" (Quand Christian se fait passer pour le neveu d'un avocat qu'il ne connaît pas pour entrer dans une soirée mondaine.)
"l'enfant du lac" (c'est ainsi qu'il est nommé dans la chanson que chante sa première mère adoptive, depuis devenue folle).

Pour Marguerite, dont Christian tombe amoureux, il y a aussi des variantes intéressantes.

Voici une phrase où Sand joue avec une habileté extraordinaire des variations de noms :

"Christian tomba dans la rêverie. Il cherchait en lui-même quel enchaînement d'idées l'avait amené à des résolutions si énergiques et si simples ; mais il avait beau chercher et attribuer le tout à l'influence d'un bon sommeil et d'une belle matinée ; toujours sa mémoire le ramenait à l'image de Marguerite cachant sa figure dans ses mains au nom de Christian Waldo. Ce cri étouffé, parti du coeur de la femme, était allé frappé la fière poitrine de Christian Goffredi."

D'abord Christian : son prénom tout nu.
Ensuite, la réaction de Marguerite (prénom tout nu) au nom d'artiste "Christian Waldo".
Puis, Marguerite devient "la femme".
Pourquoi ce changement ?
Parce qu'il s'agit de souligner ce que représente Marguerite pour Christian : elle est LA femme. C'est-à-dire qu'elle est son archétype... en d'autres termes, la femme de sa vie ! En disant "la femme", Sand place la relation de Marguerite et Christian sur un pied presque mythique : elle est LA femme et il est L'homme, un peu comme Adam était l'Homme et Eve, la femme...
Et enfin, "Christian Goffredi". Pourquoi, ici, utiliser le nom des parents adoptifs de Christian ?
Parce qu'ils étaient dignes, cultivés, et qu'ils vivaient pour la science. Ce n'était pas des saltimbanques, alors que Christian Waldo en est un.
En tant que "Christian Goffredi", Christian est fier, digne et se respecte. En tant que "Christian Waldo", Christian est un artiste, presque un aventurier, qui vit ou plutôt survit en séduisant son public avec son spectacle de marionnettes.
Et admirez la manière dont Sand joue du parallélisme pour créer du sens :
le coeur de la femme/la fière poitrine de Christian Goffredi
Ce parallélisme a pour effet de rendre Christian plus mâle et Marguerite plus féminine ! ça ne vous saute pas aux yeux ? "Femme" s'oppose, grâce au parallélisme, à "Christian Goffredi", et "Coeur de la femme" s'oppose, toujours grâce au parallélisme, à "fière poitrine", ce qui renforce à la fois la douceur (ici implicite) de Marguerite et la fierté masculine de Christian.

George Sand dit, et suggère, énormément en peu de mots grâce à :
- des parallélismes ;
- des contrastes qui se créent ou se renforcent grâce aux parallélismes auxquels ils s'intègrent ;
- des variations de noms hyper-significatives.

Voici une autre phrase où Christian est nommé d'une manière inhabituelle :

"– Mon Dieu ! dit-il, donnez au dévouement les facultés surnaturelles que vous donnez quelquefois au délire ! Et, bien convaincu qu'ici l'adresse et la précaution ne lui serviraient de rien, puisqu'il ne voyait pas à trois pieds au-dessous de lui, l'enfant du lac, se confiant au miracle permanent de sa destinée, descendit en courant l'abîme qu'il n'avait pas osé gravir durant le jour."

Pourquoi "'l'enfant du lac" ? parce qu'enfant, Christian a été sauvé de manière quasi miraculeuse, et là, il espère survivre tout aussi miraculeusement. Sans cet "enfant du lac", Sand n'aurait jamais pu faire passer en si peu de mots autant d'idées.

Bien utilisées, les variations de nom permettent de rendre le texte beaucoup plus dense et concis, en même temps qu'elles confèrent à l'histoire une qualité mythique ou épique.

Varier oui, mais attention à ne pas perdre le lecteur !

Attention toutefois.

Au début, lorsqu'on connaît à peine le personnage, mieux vaut le désigner toujours par son nom, pour que le lecteur s'en souvienne... Varier les mots dont on désigne son personnage, oui, créer la confusion et l'ambiguïté, non. (Je pense par exemple aux romans russes, où les personnages ont tant de prénoms qu'on a l'impression qu'ils sont quatre ou cinq...)

3 commentaires:

  1. Assurément, je ferai ces exercices.

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  2. Gros bémol, il n'ya pas la fin de l'article !

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  3. Oui, vous avez raison, c'est une grosse lacune !
    Je corriger (enfin... plus ou moins)

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