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mercredi 26 septembre 2012

Les secrets de l'écriture émotionnelle

George Sand a un style hautement émotionnel, ce qui fait que même ses passages les plus descriptifs se lisent avec délices. Inversement, les descriptions de Robbe-Grillet sont d'un ennui maladif, parce que son style est carencé en émotion. C'est délibéré, dit-il... ça n'en est pas moins reader-unfriendly.

Exemple de description par Robbe-Grillet :

Un quartier de tomate en vérité sans défaut, découpé à la machine dans un fruit d'une symétrie parfaite. La chair périphérique, compacte et homogène, d'un beau rouge de chimie, est régulièrement épaisse entre une bande de peau luisante et la loge où sont rangés les pépins, jaunes, bien calibrés, maintenus en place par une mince couche de gelée verdâtre le long d'un renflement du coeur. Celui-ci, d'un rose atténué légèrement granuleux, débute, du côté de la dépression inférieure, par un faisceau de veines blanches, dont l'une se prolonge jusque vers les pépins — d'une façon un peu incertaine. Tout en haut, un accident à peine visible s'est produit : un coin de pelure, décollé de la chair sur un millimètre ou deux, se soulève imperceptiblement.

Franchement, qu'est-ce qu'on en a à faire, de sa tomate ? Qu'il la mange et qu'on n'en parle plus ! (Et encore, ce passage n'est pas le plus sec de Robbe-Grillet, loin de là... ses descriptions soient souvent encore moins juteuses que celle-ci.)

Exemple de description par George Sand :

En ce moment, tenez, c'est splendide. Les montagnes sont d'un ton d'opale si fin et si doux qu'on les croirait transparentes. Tout ce côté de l'est se baigne dans des reflets d'une exquise suavité. Le couchant, au contraire, est embrasé d'un rouge terrible. Le soleil, abaissé sur l'horizon, éclate d'autant plus ardent que des masses opaques de nuages violets s'amoncèlent autour de lui. Les méandres marécageux du Tibre se dessinent en lignes étincelantes sur des masses de forêts encore plus violettes que le ciel. La mer est une nappe de feu, et, comme pour rendre le tableau plus lumineux et plus bizarre, une riche fontaine, située sur la terrasse d'une villa voisine, semble faire jaillir, aux premiers plans, une pluie d'or fondu qui se détache sur un fond de sombre verdure.

La différence saute aux yeux, n'est-ce pas ?

Si tant de gens sont hypnotisés par la télé et le cinéma, c'est parce qu'ils sont en quête d'expériences émotionnelles : nous sommes tous avides d'émotions. Plus votre écriture sera émotionnelle, plus les lecteurs l'aimeront - et plus vous l'aimerez vous-même, et prendrez plaisir à vous relire.

Mais comment obtient-t-on un style émotionnel ?

Certains vous diraient : "Il faut écrire avec son coeur"... mais le coeur n'a pas de doigts, donc ça va être difficile. D'autres vous diraient : "Il faut écrire avec ses propres émotions"... mais lorsqu'on est vraiment en proie à des émotions fortes, on est rarement en état d'écrire. Pour écrire, il faut être (relativement) calme.

Alors ?

Quel est le secret ?

Il n'y en a pas un, mais plusieurs - plein, en fait. En voici quelques uns :

1. Les métaphores

Plus votre style métaphorique, plus il sera émotionnel. Comparez : "un joli petit village médiéval en pleine nature" à "un joyau médiéval enchâssé dans la nature"

2. Les couleurs

Plus votre style sera coloré, plus il sera émotionnel. Comparez : "un joyau médiéval enchâssé dans la nature" à "un joyau médiéval couleur d'ambre enchâssé dans la verdure" (Et comme "joyau médiéval" fait vraiment trop guide touristique, on peut remplacer par "bijou médiéval").

3. Le passage de l'objectif au subjectif, de la description à la réaction affective

Comparez : "la voix cristalline d'une fontaine" à "la voix cristalline et monotone d'une fontaine", ou "la voix cristalline et mystérieuse d'une fontaine".
Chaque fois que vous donnez une information objective, essayez de l'accoupler à un sentiment ou une réaction émotionnelle. "Le vent souffle" devient "le vent souffle tristement", ou "le vent souffle avec fureur", ou "le vent souffle mélancoliquement", le "rouge" devient le "rouge terrible", le "rouge colérique", "le tableau lumineux" devient "le tableau lumineux et bizarre". etc.
Prenez conscience que vous êtes libre d'associer n'importe quelle émotion ou réaction affective à n'importe quel élément descriptif, ou presque ! Le lecteur acceptera sans broncher, à condition bien sûr que vous créiez un contexte adéquat, une ambiance appropriée...

4. Le contraste

Associez des contraires : suave/terrible ; ardent/opaque ; or fondu/sombre ; mer/feu ;
Soulignez les contrastes que vous avez créés : au contraire ; se détache, etc.

5. Transformez des caractéristiques physiques en caractéristiques morales

(Attention ! Ce cinquième secret est vraiment très très secret. Etudier-le avec soin et tirez-en tout le parti possible.)

Quand le contexte le permet, c'est-à-dire quand il lève toute ambiguïté, remplacez les termes concrets par des termes abstraits tirés du vocabulaire sentimental et moral.
Par exemple, au lieu de parler de "rochers arrondis", parlez de "rochers adoucis".
Au lieu de "petites îles isolées battues par les vents", parlez de "petites solitudes battues par les vents".
Au lieu de "blancheur", parlez de "candeur", de "pureté".

C'est moins précis, plus ambigu ?...

Vous avez raison. Mais en réalité, ce n'est pas un défaut. Plutôt une qualité.
L'écriture émotionnelle n'est pas précise, elle est suggestive.
Elle fait travailler l'imagination.

Et puis comme je vous disais, il faut jouer sur le contexte, pour rendre clair ce qui, sinon, serait incompréhensible.

Il y a bien d'autres secrets de l'écriture émotionnelle, mais pour appliquer ceux-ci à vos livres, vous avez déjà du pain sur la planche.

Et moi aussi.

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